Por David Mateos Escobar |
CRÍTICA URBANA N.13
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“En novembre 2018, l’effondrement de deux immeubles à Marseille a déclenchée une vague d’évacuations préventives. Pour accroitre les capacités de relogement temporaire des ménages évacués, l’État a loué plusieurs centaines de logements vacants. Comment cette mesure à été mise en agenda aux prises avec le plaidoyer d’une coalition d’acteurs associatifs qui appelait à la réquisition de logements vacants dans une artère emblématique de la ville ?”
Trois conditions sont à remplir pour qu’opère la mise en agenda d’un enjeu politique : la définition par le gouvernement d’une situation problématique méritant une action ; la traduction de l’enjeu en des termes relevant du champ de la compétence gouvernementale et compatible avec ses positions idéologiques ; et enfin, le formatage pour adaptation aux contraintes institutionnelles[1]. Ce prisme est emprunté ici pour analyser un corpus hétérogène de documents administratifs, de prises de position publiques et d’entretiens avec des membres d’une coalition de cause liant des collectifs et des associations[2] et avec des fonctionnaires des services locaux de l’État.
Une crise humanitaire
Suite à l’effondrement tragique de deux immeubles en plein centre de Marseille le 5 novembre 2018, les services municipaux ont déclenché une vague d’évacuations préventives qui ont révélé l’ampleur du problème de l’habitat privé dégradé dans la ville. Depuis vingt-cinq ans une suite de procédures s’étaient succédées[3]. Or, comme l’avais montré un rapport publié en mai 2015, elles étaient restées inopérantes.
Sur demande de la ministre du Logement, l’inspecteur général, Christian Nicol, avait piloté la réalisation d’un rapport intitulé La requalification du parc immobilier à Marseille. Il dressait un panorama alarmant : 40 000 logements du parc immobilier marseillais (13%) pouvaient être considérés comme potentiellement indignes et représentaient un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants, selon une estimation de l’Agence Nationale de l’Habitat en 2013. Ce rapport était resté relativement confidentiel, tout autant que celui du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées (déc. 2019) qui rappelai que deux ans avant les événements, 1400 signalements étaient en attente de traitement et seuls 57 arrêtés de péril et 1 arrêté d’insalubrité avaient été pris par la Ville (HCLPD, 2019).
Quelques semaines après les effondrements, près de 1000 personnes avaient été évacuées et 12 mois après, c’étaient près de 3000. Si les événements avaient révélé une défaillance structurelle dans l’action publique locale en matière d’habitat indigne et de logement, l’heure était à la gestion de la crise.
Réquisitionner des logements vacants rue de la République
Deux jours après les effondrements, dans l’émotion, des évacués, des riverains, des responsables associatifs et des élus d’opposition avaient commencé à se réunir pour échanger des informations, organiser leur solidarité et porter des interpellations publiques. Très impliqués dans la gestion de la crise, ils appelaient les pouvoirs publics à réquisitionner des logements vacants pour palier les insuffisances de l’hébergement d’urgence dans des chambres d’hôtel. Du 18 au 21 novembre 2018, sur les réseaux sociaux ou relayés par des journalistes locaux, ces appels signalaient la rue de la République comme un vivier de logements vacants à mobiliser.
Cette artère de type haussmannien du centre-ville avait connu une lourde réhabilitation à partir de 2004 par une coalition d’acteurs publics et privés, qui avait marqué l’imaginaire local par la violence matérielle et symbolique faite à plusieurs centaines de ménages dont les baux avaient été soudainement résiliés[4]. Près de seize ans après le début de cette opération, de nombreuses interrogations demeuraient quant à l’avancement des travaux et sur les transformations du peuplement résidentiel. À défaut d’un bilan formel, s’était installé le mythe d’une rue vidée de ses habitants par des spéculateurs dont une part considérable des logements réhabilités restaient inoccupés.
Au nom de l’urgence, la coalition revendiquait des autorités l’adoption de mesures coercitives vis à vis des propriétaires investisseurs rue de la République, dont les stratégies d’investissement étaient mises en cause. Selon une enquête réalisée en 2015 par une association locale, un tiers des logements de la rue restaient vacants dont une part dans des immeubles réhabilités. Mais ce vivier était incertain et sur-estimé en termes quantitatifs et qualitatifs. Aux actions concrètes déployées par collectifs et associations en creux de l’action publique, s’ajoutaient des considérations d’ordre politique pas toujours avérées.
L’État écarte la réquisition
Deux mois plus tard, le 21 janvier 2019, lors d’un de ses déplacements à Marseille, le ministre du Logement annonçait diverses mesures prises par l’État en soutient de la Ville pour faire face aux besoins de relogement. Il annonçait la mobilisation d’environ 75 logements privés vacants rue de la République appartenant aux foncières Primonial et Covivio, ainsi que de 300 logements auprès des bailleurs sociaux du département, et la réhabilitation de 20 logements de l’État dans des anciennes casernes. Ces annonces avaient été saluées par les collectifs et associations qui y voyaient l’aveu de la défaillance de la Ville dans la gestion de la crise et, Rue de la République, une « victoire » partielle de leurs revendications. Leur plaidoyer avait-il eu une influence ?
La Ville était débordée, prise en tenaille entre la sécurisation du site des effondrements, l’application du principe de précaution par l’évacuation préventive de dizaines d’immeubles et la mise en place d’un dispositif de relogement. Compétente en matière d’habitat, la récente metropole Aix-Marseille-Provence s’est fait discrète dans la gestion de l’urgence, s’attelant davantage à l’élaboration d’une stratégie de moyen long terme. Dans la figure du Ministre du Logement, l’État se rangeait aux cotés de la Ville non sans quelques concurrences. Le Préfet et la Préfète Déléguée à l’Égalité des Chances faisaient le relai avec le ministère pour l’activation de leviers financiers et politiques et animaient les actions opérationnelles des services locaux de l’État. L’État débordait du strict champ de ses compétences en prenant part au pilotage et au financement des mesures d’urgence locales.
Le ministère avait saisi très tôt la Direction Départementale des Territoires et de la Mer des Bouches du Rhône (DDTM) afin d’explorer toutes les pistes légales pour mobiliser des logements vacants, y compris la réquisition. Malgré une certaine résistance de la direction, le 15 novembre 2018, le service habitat adressait au Préfet et au ministère une note intitulée Présentation des différents pouvoirs de réquisition des logements vacants. Elle était basée sur une note de 2013, réalisée dans le contexte de la révision de l’ordonnance de 1945 sur la réquisition de logements vacants dans le cadre de l’élaboration de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
Au nom de l’urgence, la note déclarait la réquisition «non-opérante». La procédure était décrite comme fragile et longue et considérait que les pouvoirs du Préfet étaient limités: seul le maire disposait des pouvoirs pour justifier de l’urgence, mais celui-ci ne semblait avoir aucune appétence pour une telle mesure. Vu depuis la DDTM, la réquisition demandait une dépense d’énergie énorme pour des résultats trop incertains.
Vers le 20 novembre 2018, alors que le plaidoyer des collectifs et associations ne faisait qu’émerger dans la sphère publique, les services centraux et locaux étaient déjà d’accord pour écarter la réquisition avec la validation politique du gouvernement. Le plaidoyer d’un part et la décision publique de l’autre évoluaient en parallèle mais sans relation apparente.
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Priorité à l’agilité de l’action et à son caractère symbolique
La mise à l’écart de la réquisition répondait à une logique de recherche d’opérationnalité. Début décembre 2018, une convention financière directe hors marché public était établie entre la Ville, l’État et l’association Solidaires pour l’Habitat « Soliha » Provence pour la mise à disposition d’une offre temporaire d’hébergement. Par un engagement financier à parts égales, les pouvoirs publics donnaient mandat à l’association Soliha, spécialisée dans l’accompagnement des personnes et la gestion locative sociale, pour repérer et louer des logements dans le parc privé et dans le parc social dans lesquels reloger temporairement des ménages évacués, sans contrepartie financière. De telle sorte, État et Ville systématisaient un dispositif qui leur permettait de se substituer aux propriétaires bailleurs dans leur obligation de reloger les ménages en cas d’arrêté de péril, tout en sécurisant les propriétaires.
En parallèle, les services centraux pressaient la DDTM pour mettre en place une action rue de la République. Pas convaincue de l’opportunité, la direction de la DDTM était sommée d’animer la négociation entre Soliha et les foncières Primonial et Covivio, pour la location de logements meublés. Les conditions des baux d’intermédiation locative étaient celles du marché et les loyers semblaient conformes aux moyennes observées par l’Association départementale d’information sur le logement des Bouches du Rhône. Soliha signalait un léger surcout par rapport au parc locatif social et déclarait en janvier 2019 capter suffisamment de logements auprès des bailleurs sociaux. Quel était donc l’intérêt du ministère pour la mobilisation de logements meublés vacants rue de la République ? C’était une opération mineure en volume (122 sur 564 baux signés), mais forte en symbolique. Comment comprendre autrement que le 21 janvier 2019, lors des annonces en faveur de la mobilisation de logements vacants, le ministre choisissait de visiter un logement privé loué à Primonial rue de la République plutôt qu’un logement social ?
Cette mesure était le fruit de la rencontre de deux opportunités, l’une opérationnelle qui renvoyait à une procédure rapide à mettre en place, et l’autre, symbolique, affichage d’une prise en compte partielle du plaidoyer de la coalition de cause et du volontarisme de l’État. Comme il a pu être montré, l’influence de la coalition n’a pas été déterminante, elle a cependant pu orienter le sens des mesures prises notamment par les acteurs du niveau national.
À l’heure de la crise sanitaire du COVID19, la crise du logement indigne se poursuit. Sur environ 4000 personnes évacuées de 500 immeubles, 200 étaient toujours à l’hôtel pendant le confinement selon les associations. Dans la plupart des cas, les baux entre Soliha, Covivio et Primonial ont été résiliés, seulement dans des rares cas les occupants sont devenus titulaires. La crise se poursuit, ainsi début avril 2020, des agents du service sécurité des immeubles de la Ville alertaient publiquement sur les dysfonctionnements de la Direction de la Prévention et de la Gestion des Risques, dont témoignent 2600 signalements de péril laissés en suspend, 230 immeubles en péril grave et imminent et 180 immeubles en péril ordinaire non suivis.
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[1] Lascoumes, P., Le Galès, P., 2012. Sociologie de l’action publique, 2e édition. ed. Colin, Paris.
[2] Sabatier, P., Jenkins-Smith, C. H., 1993, Policy Change and Learning, an Advocacy Coalitions Approach, Westview Press.
[3] Bertoncello, B., Mejean, P., Hernández, F., Bertoni, A., 2013. Marseille: Les fragilités comme moteurs pour l’invention d’une centralité métropolitaine originale? Laboratoire Interdisciplinaire En Urbanisme – LIEU, Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional – Faculté de Droit et de Science Politique Aix-Marseille Université.
[4] Borja, J.-S., Derain, M., Manry, V., Galmot, C., 2010. Attention à la fermeture des portes! citoyens et habitants au cœur des transformations urbaines; l’expérience de la rue de la République à Marseille. Editions commune, Marseille.
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Notice biographique
David Mateos Escobar est urbaniste. Il enseigne à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et occupe un poste de chargé de mission au sein de Cité Ressources (GIP Centre de ressources pour la politique de la ville de la région PACA).
Para citar este artículo: David Mateos Escobar. Reloger les évacués de l’habitat indigne à Marseille. Crítica Urbana. Revista de Estudios Urbanos y Territoriales Vol.3 núm. 13 Derecho a la ciudad. A Coruña: Crítica Urbana, julio 2020. |